Les traumatismes profonds, les peurs ou les incapacités à se dégager des situations émotionnelles fortes proviennent la plupart du temps de l'enfance. Etienne Condillac (1714-1780) explique qu'il y a deux sources à la connaissance : la réflexion et la sensation, qu'il réduit par la suite et notamment pour les enfants à une seule source : la sensation. "La sensation en se transformant, explique tout, la mémoire, l'attention, le jugement. Le moi n'est que la somme des sensations présentes. Nos sensations ne sont que le signe des choses". Selon Condillac, la réalité extérieure est inconnaissable en dehors des sensations, d'où l'extrême importance des situations vécues positivement ou négativement dans l'enfance. Il écrit "L"enfant n'est qu'une cire molle qu'il s'agit d'imprégner". Acceptons d'avoir été pétri et façonné, parfois à l'encontre de notre véritable personnalité.
Sigmund Freud (1856-1939) parle des stades de libido. Il conclut qu'éduquer, tout comme gouverner et psychanalyser, fait partie des trois tâches impossibles. L'éducation devient alors toute entière cet effort des hommes pour contraindre l'enfant à surmonter le principe de plaisir et à remplacer celui-ci par le principe de réalité, elle est alors l'éducation au renoncement. Cette étape est absolument indispensable pour devenir un adulte équilibré, mais combien de parents s'y prennent très maladroitement pour ce passage très compliqué du principe de plaisir au principe de réalité ! Acceptons que les parents fassent tous des erreurs et ne réussissent pas l'impossible tâche de la "très bonne éducation".
Albert Bandura, psychologue canadien né en 1925 a une conception de l'apprentissage qui fait appel à l'imitation après observation d'un modèle. Cette analyse des processus d'apprentissage par observation ou modelage psychologique porte sur les acquisitions cognitives aussi bien que sur le domaine socio-affectif. D'où l'influence primordiale que les parents soient plus un modèle que des éducateurs à punitions, moralisations, conseils, sanctions ou blâmes etc. Un parent qui est le modèle de ses valeurs éthiques et de bonne moralité les transmet sans efforts et de la meilleure façon qui soit. Toutes les éducations trop axées sur les punitions, moralisations, contraintes et sanctions sont traumatisantes. Trop de laxisme est aussi très perturbant pour l'enfant qui n'a aucun repère ni aucune limite et s'adonne à la satisfaction de ses seules envies puériles et égocentriques sans parvenir à réaliser l'indispensable "principe de réalité" qui permet de s'adapter convenablement à la vie en société. Un juste équilibre de sévérité logique et bien employée avec l'accord d'une liberté personnelle de l'enfant (dans le respect des lois) est bien avenue dans l'éducation,mais compliqué à mettre en oeuvre. L'enfance est un vrai "terreau à traumatismes".
Rares peuvent être les enfances heureuses.
Toutefois, si enfance heureuse il y a, (je précise : ressentie heureuse), sa conséquence problématique est qu'elle empêche une remise en cause.
Devenu adulte, la personne qui n'a pas souffert au moins un peu dans l'enfance s'encroûte dans sa satisfaction personnelle, dans sa certitude d'avoir raison ou d'être le meilleur et, dans sa conviction qu'il n'y a rien à changer en lui et tout à changer chez les autres. Son "égo" trop bien développé annule toute évolution possible et toute conversion dans de nouvelles conceptions vraiment humbles et altruistes.
Par contre, les enfants se ressentant malheureux ont une propension adulte à s'adapter bien plus facilement aux situations compliquées et notamment aux évènements traumatisants. Sans croire que 'tout leur est dû", ils acceptent mieux les aléas de la vie. Etant habitués dès le plus jeune âge à accuser les coups, ils peuvent facilement se remettre en cause, sachant déjà qu'ils n'ont pas toujours raison ; ils savent depuis longtemps que la vie n'accorde pas tous les souhaits et qu'on peut vivre sans la satisfaction permanente de ses besoins.
Je rajoute que lors de la recherche de résolution interne des traumatismes, par des répétitions de concepts positifs ou acceptants jusqu'à la guérison c'est à dire jusqu'à l'annihilation des émotions douloureuses, il se passe toujours un stade de perdition. Je m'explique : l'impression d'être perdu, de se retrouver dans une impasse ou de tomber dans un puits sans fonds est un passage obligé, tout le monde l'éprouve et il est un bon signe. C'est "la nuit obscure de l'âme" dans laquelle l'âme doit passer pour progresser et s'élever à un nouvel équilibre. Au moment de ce vécu, ne pas s'en faire, considérer que ce passage obligé est normal, et même encourageant et qu'il n'est qu'une étape vers un nouvel équilibre ; tout comme le sont, dans l'enfance, la crise difficile mais utile des deux ans et celle de l'adolescence pour permettre à l'enfant l'acquisition d'une meilleure autonomie personnelle. Cette nuit obscure est un moment comparable à la mort de "notre ancien moi" qui était déshumanisé et dévalorisé, dont nous devons faire le deuil dans une douleur morale, afin de nous élever vers une nouvelle personnalité respectant l'humain, se respectant soi-même tel qu'on est, joyeux de sa progression.
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